Si le bien public préside en principe aux opérations d’urbanisme, nous savons bien que celles-ci servent aussi à favoriser une évolution électorale et parfois à l’inavouable. Quant aux tiers, malheur à la petite entreprise qui s’en trouve ruinée, ou au particulier dont la maison est gravement dévalorisée ; ils ne seront dédommagés qu'en cas d'expropriation.
Mais qu’en était-il sous l’Ancien Régime ? Pour y répondre, nous évoquerons l’opération d’urbanisme qui fait encore aujourd’hui la gloire de Bordeaux : La place de la Bourse et les quais.
La Renaissance n’avait pas changé grand chose à la façade de Bordeaux sur la Garonne. La ville était toujours repliée derrière ses remparts, et les berges vouées aux anguilles et aux immondices. Elle commença à s’ouvrir au XVIIème siècle avec quelques aménagements et l’autorisation donnée à des petits commerçants d’implanter des « choppes » de bois adossées aux remparts, et donnant ainsi naissance à ce que sera plus tard sera la fameuse échoppe bordelaise.
De nombreuses cités étaient dans cet état de conservatisme quand il fut décidé au XVIIème siècle, de marquer l’unité du royaume et la paix retrouvée après les Frondes, par l’ouverture des villes au delà de leurs vieux remparts, ainsi que par la création de places royales.
Après quelques décennies de tergiversations des jurats de Bordeaux autour d’un projet d’érection de statue équestre du roi sur une place aménagée devant le fleuve, c’est en 1700 que Sylvestre de Dufort eu l’idée du premier projet. Nous en trouvons la trace dans une requête au Roi dont les termes laisseraient songeur un lecteur actuel du Canard Enchaîné : « estant toujours rempli du désir de faire quelque chose qui puisse être agréable à sa majesté, il a cherché les moyens de faire un embellissement à la ville de Bordeaux qui la rendra l’une des plus belles villes d’Europe sans qu’il en coûte rien aux particuliers »… . Son idée était d’utiliser les berges pour réaliser un lotissement, à charge pour les acquéreurs de construire des façades conformes à un cahier des charges, le bénéfice devant permettre de créer une place royale. Le projet commencera à prendre tournure 25 ans plus tard et non sans mal sous l’intendant Boucher. On fit alors faire un projet par un architecte, projet qui fut soumis à un autre, puis à encore un autre. Le parlement de Bordeaux, les jurats, l’Assemblée des trente et des cent-trente intervinrent. On opposa des problèmes de perspective et la protection du site ainsi que du port. On échangea force mémoires entre contrôleur général, président du parlement, jurats, et intendant. On entendit aussi les protestations de négociants bordelais
Devant les difficultés, Louis XIV envoya l’un de ses architectes pour trancher les conflits ‑ Jacques Gabriel -. Ce dernier confirma « il y a là quelque chose à faire qui soit grand et recommandable à la postérité » et s’imposa à tous par sa compétence – en matière d’architecture mais aussi quant aux ports, courants, etc-. Il réalisa trois projets de coûts différents et le second fut retenu. Pour ne pas imposer la ville, on prévu d’étaler les travaux en les autofinançant avec la vente des lots.
Malgré toutes les précautions possibles, on se heurta à des bordelais très jaloux de leur indépendance, à des requêtes au parlement de Paris, à des incohérences de comptes découvertes par le contrôleur général, mais tout fut surmonté par notre grand architecte. Quant à ses honoraires, ils étaient si insuffisants qu’après avoir refusé un complément non avalisé par le Roi, les jurats voulurent lui donner 7000 livres de plus. L’intendant écrivit alors au contrôleur général « L’on est si content des peines qu’il a pris qu’on luy aurait offert davantage s’il l’avoit demandé » Le Roi autorisa ce paiement mais Gabriel répondit : « Je vous rends très humbles grâces, du règlement que vous avez fait pour voyage de l’année dernière. Mon esprit n’est pas d’excéder les provinces pour lesquelles le Conseil m’employe. Je suis toujours content quand je puis travailler au gré des parties intéressées. Je vous supplie de me faire garder cet argent à BORDEAUX. Je n’en ai pas besoin ».
Les marchés étaient âprement discutés, contrôlés par les jurats, et passés devant notaire. Les entrepreneurs soupçonnés de collusion avec les jurats étaient écartés. Point de faux-fuyants et manœuvres pour de pas dédommager équitablement les propriétaires des échoppes y compris même ceux qui avaient outrepassé leurs droits en construisant des maisons en pierre à leur place ; tout était payé à dire d’expert avec un grand souci de ne porter aucun préjudice. On accordait la plus grande importance à la protection des petits commerces en échoppe, le seul fait qu’ils se retrouvent moins bien placés étant pris en considération. On n’hésitera pas à revoir telle ou telle une partie du projet quand le bien public avait été mal apprécié, et c’est ainsi que la conception de la Bourse et du Tribunal consulaire ne fut définitive qu’en 1744 alors que l’Hôtel des douanes était construit depuis plusieurs années.
L’ensemble fut terminé en 1755 par Ange Jacques Gabriel, le fils de Jacques Gabriel, à l’exception de la statue équestre du Roi dont on aurait du mal à comprendre l’importance dans le cœur des gens, et qui fut terminée plus tard ; Tourny avait succédé à Boucher.
Longtemps la Place Royale et son champ de foire furent le centre de Bordeaux, le lieu où se traitaient les affaires, et où l’on prenait plaisir à venir voir la rentrée des bateaux.
En 1792, les révolutionnaires firent fondre la statue de Louis XV – chef d’œuvre du sculpteur Lemoyne-, selon eux « élevée à l’orgueil, les préjugés , et à la tyrannie »…
Xavier NEBOUT
Janvier 2011
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